edurtreG est un « outil » virtuel qui examine et « regarde » Gertrude (voir « Qu ‘est-ce que Gertrude ? »).

Il se présente comme Gertrude sous la forme d’un blog mais à la différence de ce dernier, il n’est composé que de textes.

La succession d’articles publiés ne dépend que de l’état de la réflexion que je mène sur Gertrude ce qui implique une certaine irrégularité dans le contenu et la temporalité.

lundi 17 décembre 2012

Idiotie




Idiotie : Forme grave d’arriération mentale, manque d’intelligence et de bon sens, bêtise, imbécillité, stupidité ; état du simple d’esprit.(Extraits du Petit Robert)





Je n’ai pas beaucoup fréquenté l’école, mais c’est à l’école que j’ai découverte mon idiotie.


L’école ne représente que peu d’années dans mon cursus scolaire que j’ai suivi en grande majorité à travers un enseignement par correspondance ; quand je repense à ces dernières modalités, il me paraît évident que cet enseignement à distance me convenait parfaitement : je n’ai jamais rencontré les professeurs avec lesquels j’échangeais en rendant mes travaux ou en recevant les corrigés, et encore moins mes camarades qui suivaient un peu partout dans le monde le même enseignement.


Pourtant il me semble que ces échanges avec mes professeurs basés en Métropole, qui passaient exclusivement par l’écrit, étaient d’une grande richesse : je me sentais bien plus proches de ces personnes que je ne l’ai jamais été des enseignants lors de mes brefs passages sur les bancs de l’école.


Toute cette petite cosmogonie virtuelle, en lien et en communication, qui ouvrait mon imagination et construisait mes représentations sur un monde si beau, si lointain, si humaniste, préfigurait sûrement ce qui se tisse à travers mes activités sur la Toile.





Quant à l’école, la première fois que j’y ai posé les pieds, c’était en classe de sixième, après avoir appris à lire et à compter avec mes parents et avoir suivi quelques classes de primaire par télé-enseignement : cette année-là, il m’a semblé subir une double peine, l’école et l’internat.


Mes parents résidant en brousse, probablement soucieux de me réintégrer dans un circuit scolaire normal, m’avaient inscrite pensionnaire dans un lycée de filles de la capitale avec la meilleure intention du monde.


En classe j’étais en état de catatonie. Le soir, malgré la présence de ma grande sœur dans le même pensionnat, je pleurais continuellement.


J’avais juste dix ans, je n’avais aucune maitrise ni sur ma personne ni sur mon travail scolaire ; je me nourrissais peu, j’étais sale et négligée, je n’avais pas d’amies et mes camarades se moquaient de moi m’appelant « la métis », ce qui n’était ni blanc ni noir et autorisait le racisme de la part de tous les partis, ou « lame Gillette » ce qui était en même temps une allusion à ma maigreur et une déformation de mon prénom.


Mes cahiers ressemblaient à des torchons et je ne comprenais pas pourquoi les pages se relevaient dans les coins en une corne permanente et noirâtre.


Mes professeurs renoncèrent assez vite à me solliciter et je me retrouvai au fond de la classe à ne rien faire. Je me souviens particulièrement de ma professeur d’Anglais, Mme Beck, dont la fille était dans la classe au premier rang, et qui avait publiquement décrété ma nullité: ainsi elle avait pris le parti de ne même plus me distribuer le travail ni de me donner les fiches de contrôles : elle m’ignorait.


Et je restais, posée comme une chose au dernier rang, à regarder mes camarades travailler et participer.


Une autre professeur, enseignante de Français et de Latin, Mme Martin, qui portait des « panties » sous ses jupes, m’avait prise en pitié et s’était mis dans l’idée de s’occuper de mon cas, ce qui m’était encore plus intolérable. Elle avait convoqué mes parents et, devant moi, avait directement évoqué ma probable incapacité intellectuelle à suivre en classe de sixième.


J’adhérais totalement à cette thèse, étant persuadée au fond de moi de ne pas avoir les mêmes facultés que mes camarades, qui, elles, évoluaient dans cet univers comme dans un élément naturel. Quant à moi, je percevais les choses, se déroulant autour de moi, comme dans un film dont je ne comprenais pas le scénario et dont le casting ne m’avait pas prévue.


Le monde était absurde, j’étais idiote. C’était acté.


J’étais beaucoup moins perplexe de ce constat que mes parents qui, très inquiets, obtinrent de la directrice un droit de visite deux fois par semaine au lieu d’un seul. Ils faisaient donc le voyage sur les pistes de brousse non seulement le  week-end pour venir nous chercher, ma sœur et moi, mais aussi le jeudi ; nous allions généralement manger des glaces dans un grand salon de thé.


Ces aménagements m’apportèrent, je crois, un peu de bien-être, mais ne changèrent en rien mes relations avec l’école, avec mes camarades ou mes professeurs. Cette première expérience scolaire fut suivie de quelques autres où, bon an mal an, je réussis à m’adapter et à progresser un peu sans pour autant me sentir à l’unisson de cet univers, ni m’attirer beaucoup d’amitié de la part de mes camarades, ni beaucoup de confiance de la part des enseignants.


Je parvenais juste à dissimuler un peu mieux cette idiotie qui était devenue pour moi indiscutable. Car le décalage persistait, et subsiste encore.


Est-ce cette difficulté qui fit que mes parents trouvèrent plus commode de me faire terminer ma scolarité par correspondance ?


Malgré la certitude d’être à jamais débarrassée de l’école et mes résolutions passionnées de ne plus y remettre les pieds, j’y suis revenue de mon plein gré bien des années après. Les cris de la cour de récréation ne me laissent jamais indifférente, réveillant en moi je ne sais quelle sourde animalité. Mais, à présent, je sais ce qui se cache derrière l’idiotie de certains élèves et la complexité que représente pour eux la vie à l’école. De ceux-là, sûrement par les spécificités de la discipline que j’enseigne, j’en ai quelques uns dans mes groupes, et je sais être leur alliée ou plutôt qu’ils me reconnaissent d’emblée comme telle.


Quant à ma propre idiotie, elle est devenue un atout : mes camarades ne sont plus des élèves et pourtant, je sens qu’il perçoivent un je ne sais quoi de la petite fille de dix ans idiote derrière la façade institutionnelle ; beaucoup passent leur chemin, nous ne sommes plus à l’âge des moqueries ; d’autres, au contraire, viennent me chercher, et je ne vais chercher personne.


Tous ignorent ce que je suis peut-être réellement, ce qui se cache dans le léger décalage : l’état de plasticienne, Gertrude, là où mon idiotie prend tout son sens.





Car cette idiotie si encombrante, boulet que je traine dans mon sillage, sorte de tache noire au milieu de ma rétine déviant mon acuité visuelle dans la marge, est, pour mes activités plasticiennes, et tout particulièrement celle que je nomme Gertrude, la fin et le moyen, et surtout la raison.





La fin, à l’évidence en est surtout de n’y rien comprendre et de ne rien chercher à comprendre, d’y perdre le bon sens et de privilégier le mauvais sens. Car le but dans mon entreprise n’est pas de comprendre, comprendre présenterait peut-être un certain danger, une trop grande lucidité sur les motivations qui m’animent me pétrifierait dans le face-à-face, m’abimerait dans le noir ;


Gertrude se situe dans un « au-delà » mais surtout un au-delà du bon sens, de ce bon sens qui nous construit un monde si cohérent basé sur l’illusion des certitudes, dans l’amnésie d’une fin. Seul l’idiot volontaire peut la toucher sans se bruler, l’abordant non pas à contre-sens ni comme un non-sens mais avec mauvais sens.





Le moyen de l’absurdité ou ab-surdité en est le seul possible avec son essentielle inadéquation, sa non adhérence sans adhésion, ses délires de fausses organisations, en vérité complètement échevelées, répétitives, tentaculaires, vaines, surfant à la limite d’une maitrise de ma part sans aucun tenant valable ni aboutissant probable.





La raison c’est moi, à l’évidence, moi et ma déraison, ce que je suis au fond, l’ancienne petite fille, perdue mais caparaçonnée, vulnérable mais invincible, flottante mais intrépide, naïve mais pas très propre, en équilibre précaire sur mon être face au vide.





Aux innocents, les mains pleines et le crâne vide.















mardi 9 octobre 2012

Misanthropie


Je suis misanthrope. Cela ne signifie pas que je n’aime pas les autres, mais que bien souvent, dès que je suis en leur compagnie, j’aspire très vite à me retrouver seule avec moi-même.
Quand j’étais enfant, je détestais les fêtes d’anniversaires ou autres circonstances soi-disant joyeuses, ludiques ou festives que les parents se sentent obligés d’organiser pour leur progéniture.
À présent, cela n’a pas vraiment changé : en présence d’un groupe de personnes, je sombre assez rapidement dans une forme d’ennui cataleptique qui doit me donner une apparence dédaigneuse et stupide. Il arrive même un moment où je me retrouve presque dans une position extérieure,  dans une contemplation idiote non seulement des autres mais aussi de ma stupidité.
La situation devient vite inconfortable, voire insupportable et me contraint, et ce malgré l’effort que cela me demande, à trouver n’importe quel prétexte pour y échapper. J’ai ainsi développé un certain nombre de stratégies pour me dérober à la vie en société. Cependant, bien obligée d’y participer, j’essaye le mieux que je peux de cacher cet état (mais est-ce vraiment un état ?) que je vis comme une sorte d’incapacité à être à l’unisson de mes congénères.

Le dispositif « Gertrude en ligne» est arrivé comme une providence et m’a réconciliée avec les bonheurs du dialogue ; je crois bien qu’il me les a fait découvrir car, avant cette aventure Internet, il me semble que je n’avais jamais véritablement échangé que des banalités de circonstances avec les « autres » ; par « autres » j’entends tous ceux qui ne font pas partie de mon cercle (très réduit) intime.
Autrement je suis incapable de me livrer ou de dire quoique ce soit d’intéressant, car, au fond de moi, dès que je prends la parole, le manque de conviction prend le dessus et me susurre à l’oreille l’inanité de mes tentatives et souligne le peu d’entrain que j’y place.

Gertrude est paradoxalement un génial instrument d’interaction et le jeu idéal de la misanthrope que je suis.
J’ai ainsi parlé de ses vertus de masque et ses pouvoirs de substitution dans le texte Alter-ego ; curieusement ce masque me rend plus vraie et plus directe : Je suis comme celui qui, déguisé et masqué en fou dans certains rituels océaniens ou africains, est autorisé à toutes les infractions aux lois de la raison.
J’ai déjà évoqué çà et là les proximités qu’Internet instaure entre les personnes qui ne se connaissent pas et qui dialoguent sur la Toile, et je ne suis pas loin de penser que cet espace impalpable est peuplé de timides qui se « lâchent », bien à l’abri derrière leur écran.
Gertrude prend bien sûr à son compte l’interface de sociabilité virtuelle et de désinhibition d’Internet, mais elle est aussi un personnage fictionnel, personnage que j’ai fabriqué, mais par lequel je me laisse fabriquer ; cette relation entre ce personnage et moi me conforte dans la misanthropie :
D’une part par la distance de l’écran protecteur qui permet paradoxalement une certaine proximité toute virtuelle avec mes interlocuteurs; les gens restant ainsi inconnus si je le désire, rien ne pouvant m’atteindre.
D’autre part, car cette protection est redoublée par l’entité Gertrude qui est « moi » et « autre » à la fois comme une personnalité fuyante qui se dérobe quand elle se sent en danger, une peur qui serait principalement celle de se faire envahir . Ainsi la personne Juliette ne s’investit jamais pleinement dans ses relations avec ses interlocuteurs car elle laisse parler Gertrude.
Gertrude agit ainsi comme un filtre à affect, maintenant ce dernier en respect, elle me permet de m’exprimer tel que je ne le ferai jamais dans la vraie vie sans pour autant m’engager ou construire quoique ce soit.
Il est décidé au préalable que l’entreprise, toute aventure humaine qu’elle soit, reste vaine et sans lendemain.

Mais il est évident que Gertrude n’est pas un personnage anodin au point de ne jamais troubler la surface de mes sentiments ou de mes émotions envers les autres ; je crois composer avec ces sensations et taquiner ces dernières à l’épreuve de tous les liens tissés à travers les conversations gertrudiennes. Tout en m’efforçant de garder en vue les limites de ce jeu, il est bien possible que, par contre, je ne sorte pas indemne de cette symbiose avec Gertrude en me métamorphosant bien plus profondément qu’elle ne peut le faire.

mercredi 3 octobre 2012

Futilité




J’aime le mot « futilité » ; comme j’aime le mot « ridicule ». J’ai un certain faible pour ces termes à la fois légers, cristallins quand ils sonnent dans l’air, et fortement péjoratifs ; dans « futile », j’entends aussi bien « inutile » que « volatile », que « superficiel » et « imbécile » ; son manque de sérieux me stimule et me met en appétit comme un nuage de crème fouettée superflu et essentiel au dessert roboratif. 

J’ai trouvé Gertrude dans un grand moment de futilité ; je lui ai donné sans trop réfléchir un prénom futile, ridicule, un peu cochon, presque déplacé pour son état funeste, mais que je me plais à imaginer avoir été le sien quand elle était de chair : celui d’une vieille dame assez originale pour avoir légué son corps à la Science et avoir assumé un tel prénom. 

Gertrude en soi n’est pas futile, mais transporte avec elle les circonstances légères de notre rencontre et surtout l’extrême jeunesse et la complète insouciance dans lesquelles je me trouvais à ce moment là.
Je me souviens très bien de l’instant où je la vis (et que j’évoque ici) : celui d’un sentiment étrange et mélangé comme celui d’une rencontre, ou d’une reconnaissance à laquelle on ne s’attend pas : j’eus immédiatement la certitude de son humanité (j’entends par là, que jamais je n’ai eu autant la sensation de sa présence défunte, en deçà de son objet crâne, qu’à cet instant de la première rencontre) ; je l’adoptai sans hésiter et l’emportai chez moi sans réticence ni cérémonie.
Je ne suis pas sure d’en être encore capable.
Emporter Gertrude sous mon bras était en apparence un acte potache, mais c’était aussi emporter une tranche de vécu qui n’était pas loin d’être une leçon de vie. Car le jour de l’achat (dérisoire) du crâne Gertrude était le dernier d’un séjour ou plutôt d’un long passage au milieu des cadavres et des personnes bien vivantes qui s’en occupaient.
La morgue où je décidai, un an auparavant, de venir toute les semaines peindre et dessiner, était un lieu paradoxal où se côtoyaient mort et truculence ; un lieu  où la mort ne se laissait voir qu’à travers une bonne couche de futilité tant la confrontation avec la chair morte et disséquée était directe, et n’épargnait aucun sens, ni la vue de ses béances, ni l’ouïe des craquement et déchirement des os et des plèvres, ni l’odorat des miasmes des intérieurs, des émanations de formol ou des effluves quasi alimentaires sorties des énormes cuves ou bouillaient les squelettes, ni le toucher de ce contact étrange d’une peau froide et cartonnée. 

Les hommes (il n’y avait que des hommes) qui travaillaient là, remplissaient leurs tâches avec une rigueur et une précision exceptionnelle mais étaient toujours d’humeur incroyablement joyeuse et joueuse: manipulant et disséquant de la chair humaine morte à longueur de journée, ils n’étaient jamais fatigués de plaisanter, de rire de tout et de n’importe quoi ou de chanter à tue-tête. On se serait cru dans quelque usine diabolique, entre Jérôme Bosch et François Rabelais. 

À l’époque, j’étais assez décontenancée par ce qu’à présent j’ai envie de qualifier de « futilité », sans y mettre quoi que ce soit de péjoratif ; j’étais comme dépaysée dans cet endroit étrange, froid et chaleureux à la fois, ou la légèreté des propos contrebalançaient vainement le poids incommensurable de la mort , où le dérisoire gagnait presque (ou du moins il était facile de le rêver ainsi) sur le néant; dans mon approche quelque peu bravache et un peu exotique des cadavres, je n’avais peut-être pas encore les moyens de percevoir autre chose que ce vernis suave sous lequel se cachait une vérité terrifiante, et je ne m’interrogeais pas sur l’attitude « futile » des personnes travaillant en ces lieux et sur ce que cette apparence joyeuse pouvait refouler.  
 Je ne dissociais pas cette futilité de la très grande conscience professionnelle dont les préparateurs faisaient preuve dans leur travail, aussi bien dans leurs gestes techniques que dans leur considération envers les personnes disparues.
Face aux corps des défunts, dont l’arrivée sur les tables de la morgue laissait les familles doublement endeuillées par la privation de leurs présences, l’attitude de ses hommes était celle d’un respect joyeux, chaque dépouille ayant droit à quelques mots de reconnaissance dits avec humour mais jamais avec moquerie.
Il y avait découpe des chairs mais jamais outrage à la personne : les préparateurs, n’oubliaient jamais  la nature de ce qu’ils découpaient ; chaque corps, lors de cette perte d’intégrité qu’impliquait le débitage auquel il était voué, bénéficiait dans son démembrement d’un subtil mélange d’oraison et de futilité, comme d’une pâtisserie indigeste recouverte d’une crème fouettée et parfumée. 

Ce passage, presque cette initiation, à la morgue fut pour moi l’expérience de la réalité de la mort et celle qui a marqué à jamais ma conscience des personnalités de ces pères de familles aux revenus modestes exerçant un métier pas tout à fait comme les autres, mais pratiquant une subtile distance envers ce dernier. Telle était, pour eux, la clé de l’amour d’un métier presque inavouable dont la seule difficulté, disaient-ils avec humour, était celui de figurer dans les fiches d’inscriptions scolaires de leurs enfants.

Je suis à présent convaincue de la nécessité de « pratiquer » la futilité en toutes circonstances, et particulièrement face à l’inéluctable, et de s’autoriser une inutilité volatile et fragile afin de garder un semblant de solidité à un monde dont nous savons sans vouloir le connaitre l’écroulement inévitable. 

Gertrude est pour moi le prétexte, la raison et le but de la futilité ; elle est creuset, moteur et catalyseur de la légèreté dont elle se veut réceptrice et génératrice. Elle refuse de céder au poids de sa matière avant de retomber lourdement.
J’aurais l’occasion de revenir sur ses vertus pâtissières.

samedi 8 septembre 2012

Ambiguïté





Aujourd’hui marque la première ambiguïté évidente d’edurtreG.

Je pourrais dire qu’edurtreG rentre en ambiguïté en même temps qu’elle fait son entrée dans l’univers de Gertrude.

Ce dernier blog censé, en effet, explorer et élucider les mécanismes de Gertrude, tout en lui restant extérieur, se retrouve pourtant faire, à présent, partie de ses rouages. Car la seule révélation dans les blogs Gertrudiens de son existence jette un doute quant à la véritable fonction de ce nouvel espace.

edurtreG, pour garder son objectivité analytique, devrait , dans l’absolu, être totalement indépendant de Gertrude ; et une telle initiative de réflexion devrait rester souterraine et à mon seul usage. Peut-être que sa première ambiguïté est justement d’être publiée sur Internet, donc destinée au regard d’autrui et qui plus est au regard inconnu. Donc edurtreG serait autant quelque chose qui montre (à défaut de démontrer) que quelque chose qui se montre.

Maintenant, la question est de savoir si edurtreG peut regarder Gertrude sans en faire partie, sans se faire un peu regarder par elle, et qui edurtreG peut éventuellement intéresser, à part moi, si ce ne sont les visiteurs fidèles de Gertrude.

On peut également se questionner sur la nature « oignon » de Gertrude et sur les épidermes sous-jacents à la partie visible de mes activités autour d’elle, ainsi qu’à l’influence de la mise à jour de ces strates cachées sur ces dernières.

Ces questions trouveront, à défaut de réponses, quelques développements et quelques justifications à l’usage, et auront surement,  au moins, l’avantage de l’expérience.

Vanité





On pourrait se demander si Gertrude, ou ma démarche à son propos, appartient à la catégorie des Vanités.

Personnellement, je n’ai pas su répondre encore à cette question et il est possible que je n’y réponde jamais ; il est possible aussi que cette question ne me concerne pas tant que cela, et même qu’elle ne soit pas vraiment la bonne question à poser sur ma démarche. Mais elle intéresse probablement ceux qui « ouvrent », pour une raison ou une autre, les blogs de Gertrude, donc ceux qui constituent la véritable part d’inconnue, non négligeable et essentielle, de mon entreprise.

Cette question, si elle les concerne, est donc suffisamment importante pour que je la soulève.

En effet, cette notion s’est installée toute seule comme un sédiment apporté par le flux d’Internet, passage incontrôlé et continu qui glisse sur chaque publication et y apporte son lot de réflexion, de sentiment et d’émotion.

Je veux, bien sûr, parler des visiteurs, qu’ils soient interlocuteurs fidèles de Gertrude ou simple passants égarés.

Ainsi le terme de « Vanité », peu utilisé au départ dans mon vocabulaire « gertrudien », a fini par s’imposer dans les conversations et, je crois, aussi dans la manière d’aborder mon travail.

Gertrude est devenue Vanité malgré elle, l’air de rien, presque par faiblesse ou par flemme d’imposer sa singularité.

L’image que les visiteurs reçoivent de mes activités ne coïncident pas toujours avec ce qui motive mon travail et ce que je pense donner comme sens à mes publications. Gertrude est bien plus « tête de mort » que je ne le souhaiterais et moins « unique » que je voudrais bien le croire.

Là où je reconnais une physionomie, force est de constater que pour d’autres, son caractère funèbre domine, bien loin de la personnification dans laquelle je la cultive ; car peu à peu, ce crâne, qu’un jour j’ai choisi parmi d’autres, que je sais avoir appartenu à une femme, auquel j’ai donné un prénom comme à un enfant, a acquis l’épaisseur rassurante de l’être, et la force de la présence. Il y a dans ce choix une forme d’adoption qui pose le crâne en miroir de celui qui le regarde.

Le réduire au symbole ou au stéréotype m’est autant impossible que d’y voir un message de mort et d’anéantissement.

Mais Gertrude, dans cet univers virtuel, sans pour autant renier son originalité, est devenue opportuniste, voire hypocrite, d’une part par ma volonté de nourrir mon propos de tout ce qui passe (rien n’était prévu, rien ne sera laissé au hasard), d’autre part par son état même de crâne, juste os dénué des caractères distinctifs de la reconnaissance humaine.

Elle se plie donc à toutes mes facéties, mais également se reflète complaisamment dans les désirs des visiteurs, laissant ainsi entrevoir, derrière toute la mise en scène dont elle fait l’objet, le creux de sa vérité objective, dénonçant ainsi la supercherie et le bluff avec lesquels je joue.

Si Vanité il y a n’est-ce pas justement dans cette labilité du crâne, dans ce creux où tous les possibles peuvent se développer ?

L’os est voué à l’anonymat, à la ressemblance à une catégorie d’objets : Alors qu’un corps a un statut de défunt, le crâne, lui, est à l’état de chose ; et cette même chose nous serons tous un jour, et à ce crâne nous ressemblerons.

Ce message colle à l’os quoiqu’on y fasse, et il y a peu à le réduire à sa simple expression en balayant les vaines fioritures et les fantasmes qui l’enrobent.

Décompte du temps





Gertrude compte le temps et le temps compte pour Gertrude ; à se demander si Gertrude ne repose pas entièrement sur ce décompte, si elle n’est pas juste du temps compté.

Il est pourtant évident que le temps ne concerne plus le crâne Gertrude qui est objectivement le reste d’une personne décédée dont la temporalité s’est arrêtée le jour même de la mort.

Même si le crâne a une temporalité propre depuis sa reconnaissance en tant qu’objet indépendant de l’histoire d’une personne, ce temps est le mien bien plus que le sien.

Le temps est un phénomène que nous comptons à partir d’une naissance, quantifiable à partir de ce point de départ, mais c’est également ce qui nous sépare de notre mort, sorte d’étendue à l’épaisseur d’autant plus présente qu’elle nous est inconnue.

J’ai créé le blog de Gertrude le 3 janvier 2008, et depuis, tous les trois du mois, je célèbre sa présence sur la Toile par un article ; Gertrude ainsi dotée d’une « naissance » ne se laisse pas oublier, elle acquiert une forme d’existence ; le temps en marche lui déroule un avenir, chaque « trois » la propulsant vers la prochaine échéance, transformant son errance en marche motivée, cadrant l’informe de son temps arrêté par des laps de durées déterminés et délimités.

La pendule mise en route, Gertrude espère donc une nouvelle mort et vit à nouveau. Ce déroulement ne peut se produire qu’à partir de ce point initial choisi arbitrairement, et dont le caractère justement arbitraire en fait la précision.

Car le véritable « début » de Gertrude reste, quant à lui, dans le vague ; le crâne, dénommé « Gertrude » par mes soins, n’existe à mes yeux que depuis que je l’ai trouvé (j’explique les circonstances de cette « rencontre » ici).

Peut-on dire qu’il existait avant ?

Avant d’être « à moi » ce crâne porte avec lui une réalité objective d’avoir été organe interne à un être vivant humain sans pour autant en incarner à lui tout seul la singularité ; puis après la mort de ce dernier, il accéda à la visibilité d’une structure osseuse mise à nu dans un but d’étude scientifique ; cet état d’objet scientifique faisait oublier toute identité de la personne dont il avait été un élément organique, et le faisait entrer dans un anonymat nécessaire à sa fonction.

Quant à moi, je ne saurai jamais « qui » fut Gertrude avant sa mort, mais j’ai « personnifié » le crâne peu à peu, muant son statut d’objet scientifique en celui d’objet poétique, en lui donnant un nom, mais également en l’intégrant à la temporalité d’une sorte de fiction ; cette temporalité ne peut cependant qu’être la mienne, celle de Gertrude étant fondée sur l’amnésie.

La « perte de mémoire » de Gertrude, le vide paradoxal de cette vie passée justifie son « remplissage » par ma propre mémoire, mon propre retour sur le passé, ainsi que le décompte de mon temps de plasticienne : ainsi mon temps autour de Gertrude se matérialise par une activité régie par des échéances, compensant le « non-su » ou « rien-su » à propos du crâne par un usage pléthorique et absurde de la scansion du temps.

De la même façon ce décompte reste dans cette aventure virtuelle ce qui se rapporte le plus à ma propre réalité, et qui calque ma propre vie.

Alter ego





Je crois que si j’entendais crier « Gertrude » dans la rue, je me retournerais. Une amie me déclarait récemment qu’elle pourrait m’appeler « Gertrude » assez facilement.

Depuis la création du blog de Gertrude, cette dernière est devenue peu à peu, presque insensiblement, une partie de moi-même ; il ne se passe pas un jour sans que je pense à ce qui est à présent une facette de ma personne ; beaucoup plus qu’un centre d’intérêt, c’est un filtre à travers lequel une part de ma pensée se construit.

Le phénomène s’est produit presque malgré moi : j’avais, au départ, conçu le blog comme une sorte de fiction dont le personnage principal était Gertrude ; je  souhaitais ainsi la faire « parler » et m’effacer totalement derrière cette supercherie. Mais la question du « je » ou du « elle » s’est posée et le non-choix entre ces deux modes a scellé définitivement l’ambiguïté de la personnalité de Gertrude ; le va-et-vient entre l’emploi de la première personne et celui de la troisième personne a donné le ton entre un « pas tout à fait elle » et  un « pas tout à fait moi », et a fait naitre un personnage mixte, une forme d’extension d’elle et de moi ou encore d’intermédiaire entre nous deux.

Cette incertitude a été particulièrement favorisée par ce qui caractérise le blog, c’est-à-dire l’échange ; en effet, s’il s’agissait simplement d’écrire des articles, le ton resterait probablement plus régulier ; or c’est sans compter sur le phénomène de la rencontre qui génère l’interaction et un jeu, jeu à entendre aussi bien dans une dimension ludique que dans une mobilité d’adaptation à l’interlocuteur : certaines conversations entrainent de ma part une véritable mystification, d’autres m’amènent sur un terrain plus posé et analytique que l’on pourrait qualifier de plus « sérieux ».

Mais que le jeu soit « je » ou « elle » ou encore « je » face à « elle », la confusion reste totale et la signature reste « Gertrude » ; ainsi Juliette, celle qui s’exprime réellement à travers le blog, prend la peau (si j’ose dire) de Gertrude, et Gertrude se confond avec Juliette, et, de toute manière, ne peut avoir d’existence sans elle ; le « je » de l’entité qui répond aux commentaires du blog reste toujours un « je » qu’il soit celui de Gertrude ou celui de Juliette ou celui d’une indétermination qui est de ma part de plus en plus volontaire et avouée.

Et je pense que c’est en partie cette labilité qui passionne les interlocuteurs et qui les poussent à poursuivre la conversation ; bien plus qu’un simple « pseudo » le masque devient intéressant parce qu’il est percé et laisse entrevoir une certaine réalité, mais une réalité glissante aux limites incertaines.

Mais Gertrude n’est pas un personnage comme les autres, elle est théoriquement et selon toute logique un reste humain ; mais en pratique, la réalisation d’un tel état de fait s’avère plus compliquée ; en effet le crâne a une physionomie impossible, on ne peut, d’une part, ignorer le message mortel qu’une telle figure nous renvoie, ni d’autre part, le réaliser comme notre propre devenir ; c’est une chose tout à la fois proche et lointaine, voire inaccessible, comme un souvenir oublié que l’on sait pourtant là.

Cependant Gertrude est pour moi en même temps une étrangère et une coïncidence avec ma personne ; quand j’ai choisi Gertrude, la superposition s’est opérée dans ce choix. Ce jour-là, je ne pouvais choisir le crâne d’un homme, je ne pouvais aller que vers celui d’une femme dans lequel je me reconnaissais. Il était pour moi impératif d’adopter sa face et de m’adapter et de m’accommoder à ce face-à-face ; Gertrude en est devenue une entité familière, presque rassurante, comme une étape accomplie de mon propre parcours.

Gertrude n’est donc pas un masque ordinaire ; on pourrait presque s’interroger sur qui d’elle ou de moi endosse le rôle du masque ; et si j’étais le masque de Gertrude ?

Car malgré son os exposé aux yeux de tous, Gertrude ne révèle rien, ni de son passé ni de son véritable visage ; la seule chose qu’elle montre est une aberration, presque une obscénité : une structure osseuse qui ne doit son existence qu’à la chair vivante et dont la vocation est d’être occultée.

Dans son cas, on pourrait considérer que l’impudique Gertrude navigue entre deux chairs, la sienne et la mienne, ou entre celle d’avant et celle de maintenant. Dans le mien, il s’agit presque d’un retournement de situation : celle de ma chair montrant ses intérieurs ou le souvenir inversé et hypothétique de ma physionomie  future. Et curieusement, cette drôle de gymnastique de mon être, cette collision /confusion d’états tout aussi réels que fantasmés, me permet de livrer non pas des détails de ma vie réelle, mais probablement une forme de retournement tripal et interne autrement plus vrai que si je procédais sans l’artifice de Gertrude.

Si Juliette donne la parole à Gertrude, Gertrude, elle, qui a perdu jusqu’à sa chair, peut dans l’espace vide, laissé vacant, autoriser Juliette à exister.

Rencontre




Les rencontres sont toujours fulgurantes à travers Gertrude.

Elles sont depuis quatre ans et demi dues au hasard, à un hasard que je doterais bien de quelques vertus miraculeuses.

Ces rencontres, celles qui ont donné à Gertrude ses vrais « interlocuteurs » sont toujours le fruit de véritables collisions, de circonstances tombées du ciel ; les rares fois où j’ai tenté de les provoquer par une démarche raisonnée, par exemple en faisant des recherches par catégories ou par mots-clés sur le web, se sont soldées par des échecs ou des malentendus. Les personnes qui se sont réellement intéressées à mes activités y sont venues d’elles-mêmes et par des voies qui n’ont rien à voir avec la raison. Chaque fois se fut pour moi un moment de grande fébrilité, un vrai coup de cœur, j’oserai même le terme de rencontre amoureuse.

Ces interlocuteurs tels que je les appelle affectueusement se classent actuellement en trois catégories : ceux que je connais par Internet mais que je n’ai jamais rencontrés physiquement et que probablement je ne rencontrerai jamais, ceux pour lesquels j’ai franchi le pas de la rencontre et avec lesquels une vraie amitié s’esquisse dans la vie réelle, et enfin, dernièrement, ceux que je connais déjà dans la vie réelle mais que j’ai rencontrés d’une toute autre manière via Gertrude.

La première catégorie est probablement la plus « authentique » dans l’aventure de Gertrude ; authenticité qui ne se laisse troubler par les interférences de la vie réelle ; la première de ces rencontres, qui est aussi celle du premier interlocuteur de Gertrude, est racontée ici et je ne reviendrai pas sur ses circonstances ; toujours est-il que je pense avoir très vite décidé ne jamais rencontrer cette personne dans la réalité, pressentant là la possibilité d’une ruine soudaine de tout ce qui constituait la magie de cette relation virtuelle, voire de l’existence du blog lui-même, ou par une immense déception ou paradoxalement par une attirance qui aurait pu mettre en danger et mon entreprise gertrudienne et ma vie réelle.

Certains autres interlocuteurs sont pour moi des points d’interrogations, personnalités qui gardent tout leur mystère, qu’il me plait de garder ainsi en suspension et chez qui je crois reconnaitre le même désir.

La deuxième catégorie est comme le résultat d’un abandon, l’abandon de certains principes que je m’étais dictés au départ de l’aventure, mais aussi l’abandon à la tentation de voir enfin le visage des personnes qui me parlaient.

Probablement que ce « passage à l’acte » a été choisi en fonction des personnes et de ce que je percevais de leur envie de me rencontrer  et de leur degré peu élevé de « dangerosité » ; cette dangerosité étant à comprendre non pas envers moi et ma personne, mais envers l‘équilibre construit entre Gertrude et moi, mon souci étant de garder un semblant de cap et d’éthique dans cette expérience dont il m’était important de préserver le caractère plasticien ; il ne s’agissait pas pour moi de tomber dans un système affectif qui risquerait de prendre le pas sur l’interactivité générée par les blogs de Gertrude et dont cette dernière deviendrait le simple prétexte.

Voici pourquoi, envers les personnes que j’ai rencontrées et avec lesquelles, pourtant, je vois se dessiner des possibilités d’amitié, j’ai pu garder quelques distances et ne pas m’adonner à une véritable intimité, ce qui d’ailleurs ne correspond pas à ma nature de misanthrope.

Ces rencontres se sont souvent produites à travers une performance, Le Jeu de la Vérité, système absurde de questions-réponses autour du crâne de Gertrude servant autant de pivot que de catalyseur au face-à-face ; cette performance ayant l’avantage de s’appuyer sur le volontariat de mon interlocuteur et de me dédouaner ainsi de l’initiative de la rencontre.

Dans ces rencontres « réelles », j’en dénombre cinq à l’heure actuelle, il y eut bien de petites « erreurs » de ma part, de décalages un peu douloureux entre mes fantasmes, les fantasmes de l’autre et cette réalité que nous avions oubliée l’espace de quelques échanges virtuels ; comme un brin de déception mutuelle et pour une fois inavouée (car le non-dit n’existe pas dans le virtuel) dans l’échange d’un regard soudain empreint de tous le filtres pesants que nous imposent les codes de la réalité.

J’ai pu ainsi ressentir quelque regret à avoir suscité certaines de ces rencontres et d’avoir cédé au désir de mener jusqu’au bout la magie de ces conjonctions virtuelles, avant de prendre conscience que cette concrétisation était plus un réveil que la poursuite d’un rêve.

Bien heureusement le virtuel, telle la Nature, et ce paradoxalement, reprend ses droits très vite, et la conversation sur le Net oublie rapidement la gaucherie de la réalité, pour retrouver ses marques poétiques.

Le Jeu de la Vérité (j’aurai l’occasion d’y revenir) est comme un sas, un espace de transition entre ces deux états de la rencontre et ceux (ou plutôt celles) qui l’ont expérimenté ont pu intégrer parfaitement ce va-et-vient entre réalité et virtualité de Gertrude ; il est possible que d’autres venaient chercher au-delà de Gertrude, là où leur frustration et la mienne ne pouvaient que faire l’expérience du vide.

La troisième catégorie ne concerne pour l’instant qu’une seule personne ; elle se reconnaitra évidemment ; je la connaissais dans une « vie antérieure » dans une sphère où la rencontre gertrudienne ne pouvait se faire, ou même toute rencontre amicale relevait d’une impossibilité institutionnelle.

Dans une deuxième tranche de vie, je crois avoir fait moi-même la démarche de donner à cette personne les coordonnées du blog de Gertrude, comme il m’arrive de le faire assez fréquemment sans grand résultat. En effet, comme beaucoup d’autres, cette personne a bien du jeter un regard rapide à mes activités sans pour autant rentrer ou encore moins participer à leur logique ; mais contre toute attente, c’est longtemps après ce vague aperçu, qu’en relation avec sa propre pratique, à la suite d’une recherche sur le Web, elle tomba sur un de mes textes écrits dans le cadre de Gertrude, et se laissant prendre au jeu, entra ainsi dans le cercle des conversations.

On peut évoquer une simple coïncidence mais la surprise fut totale pour moi car, même dans cette configuration inédite, la rencontre virtuelle se produisit aussi surement qu’avec un inconnu, les choses se disant beaucoup plus dans cet espace que dans la réalité ; au point qu’à présent je m’interroge sur mes capacités à communiquer ou à livrer mes pensées autrement que dans ces conditions ; là encore je reviendrai non seulement sur les caractéristiques de cet espace virtuel mais également sur Gertrude en tant qu’alter ego à travers lequel je m’exprime.

Je peux également affirmer, après ces quatre ans et demi de pratique du blog de Gertrude, que le phénomène de la rencontre via Gertrude est un véritable moteur de mes activités, me poussant toujours plus loin, tendue dans l’espoir de ce surgissement miraculeux que je sais toujours devant moi.

Écriture



La pratique du blog de Gertrude m’a amenée peu à peu à l’usage de l’écriture. Cette dernière s’est imposée comme la base naturelle de cette nouvelle manière de concevoir et mettre en scène mon travail de plasticienne.

Chaque article est ainsi accompagné d’au moins un titre et d’un minimum de formulation écrite ; l’image dans ce contexte du blog, ne peut se suffire à elle-même et ne peut fonctionner qu’accompagnée de quelques mots, d’une phrase ou d’un petit texte ; j’expérimente par ailleurs la réduction au minimum de cette relation entre l’image et le texte, par le seul titre, dans le blog de Clémence Adhère qui, ne faisant pas partie à proprement parlé de l’aventure « gertrudienne », ne participe pas moins à mes essais praticiens sur Internet et croise beaucoup plus qu’il ne paraît mon travail autour de Gertrude; et il est évident dans cette dernière expérience que plus la formulation est réduite, plus elle est difficile à élaborer en résonance avec l’image ; il m’arrive de garder ainsi l’image plusieurs jours sans trouver le titre qui lui convient.

Mais dans les blogs de Gertrude, de simple complément ou complétude de l’objet donné à voir, l’écriture est devenue avec le temps objet à part entière et a pris bien des fois le pas sur la production plasticienne.

Dans cette survenue de la nécessité d’écrire dans ma pratique, tout me porte à croire qu’elle était sous-jacente et n’attendait que cette aventure pour se révéler. L’écriture a toujours été présente et je n’ai jamais pu vraiment démêler si écrire était pour moi une facilité ou une difficulté ; je sais juste qu’elle est suffisamment importante pour susciter un questionnement et un désir, suffisamment présente pour avoir fait l’objet d’un texte (ici).

Désir et appréhension qui sont à l’évidence au rendez-vous de ce dernier blog edurtreG : les points que j’ai envie d’aborder sur Gertrude et la multitude de pistes qui s’ouvrent à mon analyse en justifie bien le désir ; s’ajoute bien sûr l’appréhension de « ne pas être à la hauteur » de ce désir et de mes ambitions, de servir du creux tout juste bon à dégonfler ma dynamique plasticienne, de renverser par cette écriture tout ce qui constitue le sens de mon travail.

Le danger étant aussi de tomber dans le verbeux et la redite à force de tourner autour du même motif. Mais paradoxalement c’est cette redondance et ce fonctionnement en circuit fermé qui me semble être moteur de ma démarche et qu’il me paraît essentiel d’exploiter et d’analyser ; mais est-ce vraiment, dans cette volonté d’écriture, un acte d’analyse ou un nouveau redoublement, une nouvelle peau d’oignon, de la spirale ?

Arts Plastiques




Plus j’avance dans le temps de Gertrude, plus je m’interroge sur la relation que cette expérience entretient avec les Arts Plastiques.

Les Arts Plastiques ont déjà pour moi une double entrée : ils sont l’objet de mon activité professionnelle mais, également, ils sont le centre de mon intérêt personnel de plasticienne ; j’ai donc à leur égard une double position, extérieure et intérieure, j’en suis spectatrice et actrice.

Avant l’expérience de Gertrude sur Internet, je peux considérer que j’étais une plasticienne lambda, plutôt peintre, un peu bricoleuse, un peu photographe et peu versée dans les nouvelles technologie. J’étais pleinement engagée dans une expérience matérielle des arts plastiques, forte de ma formation de praticienne à l’école des Beaux-Arts.

L’introduction d’Internet dans ma pratique s’est rajoutée à cette expérimentation comme un nouveau medium à explorer ; mais contrairement à un moyen dit « classique » comme la peinture, le dessin ou la photographie, qui implique un rapport immédiat à la forme et à la matérialité de constituants plastiques, la mise en ligne redouble cette relation, impose une distance qui lui est propre, introduit l’impalpable et l’impossibilité de l’appréhender comme un tout.

Ainsi le blog de Gertrude se fonde sur une réelle activité plasticienne de ma part, peinture, dessin, bricolages, broderie, installation, performance, vidéo, photo et c…, il rend compte de cette production on ne peut plus matérielle, mais développe également sa véritable autonomie de blog et d’entité virtuelle, impliquant non seulement une sorte de déroulement temporel, mais également une dimension d’information et de communication, voire de publicité.

Très rapidement ces deux aspects « matériel » et « virtuel » sont devenus indissociables au point de ne pas pouvoir fonctionner l’un sans l’autre, chacun imposant sa loi dans le champ de l’autre ; d’une part le « matériel » tente d’exister par le truchement de l’image photographique, que je veux la plus démonstrative possible au point de « bluffer » par quelques supercheries numériques sur la qualité de productions qui ne sont pas toujours à la hauteur de mes ambitions ; d’autre part, le « virtuel » impose son rythme de média éphémère dévoreuse d’évènements, m’obligeant à produire sans cesse de nouvelles images, d’inventer des situations attractives et intrigantes, de réfléchir mon travail en tant que mises en scène, d’entretenir un échange avec les visiteurs, d’empiler sans fin de nouvelles données aussi rapidement qu’elles se périment.

La construction impalpable et irreprésentable que le blog entraine, constitue une sorte d’organisme en croissance constante qui ne peut être perçu en totalité tant les méandres (liens et autres raccourcis virtuels) se sont multipliés, tant les commentaires eux-mêmes y rajoutent de substance.

Il est vertigineux de penser que cette structure accumulative ne peut être sauvegardée d’aucune façon et risque de disparaître à tout moment d’un clic ou à cause d’un bug informatique.

Cette démarche qui comprend une activité « classique » de plasticien et sa publication sur le Web m’oblige à une double approche, dont l’une emprunte peut-être au domaine hybride, où tout peut encore inventé, de la forme et de la communication virtuelle.

Blog



La définition du « blog » serait un « journal intime sur Internet », le but en est apparemment contradictoire, secrètement alléchant, singulièrement immature : celui d’exposer aux yeux potentiels de tous ses petites affaires secrètes .

La vocation du secret n’étant pas de se proclamer en tant que secret et de susciter le désir de sa révélation ?

Une des premières questions à propos de Gertrude serait peut-être le pourquoi d’un blog. Quand je me suis lancée dans l’entreprise (et c’est bien toujours ce mot « entreprise » qui me vient à l’esprit à son sujet), c’était comme un pari, presque une expérience hasardeuse que je pensais sans avenir.

La perspective me tentait autant qu’elle me repoussait ; l’idée première était de créer une sorte de fiction autour du personnage de Gertrude, et à travers ce faux « journal », en nouer l’intrigue.

Je me suis lancée probablement lors d’une certaine période de vacuité dans ma pratique ; l’expérience en était une parmi d’autres, sa pérennité ne devait pas excéder quelques jours, voire quelques semaines.

Quatre ans et demi après, force est de constater qu’il n’en est rien, que les idées (la dernière en étant peut-être « edurtreG ») continuent à se bousculer pour alimenter l’aventure, que l’aventure a largement supplanté l’expérience  malgré une certaine lassitude actuelle de ma part à participer aux échanges qu’elle suscite.

Je suis, en effet, arrivée un stade paradoxal : celui de reconnaître dans le blog son absolue nécessité en tant que moteur de ma pratique et son impuissance à être un espace « d’exposition » efficace, du moins satisfaisant, de cette dernière.

Ce qui frappe dans l’usage du blog, et qui en crée le besoin, presque l’addiction, c’est la puissance de l’échange avec les interlocuteurs.

Le phénomène de la « rencontre », et qui plus est, avec des inconnus, est si fort qu’il en est bouleversant ; au point qu’il a pu, surtout au début, primer dans mes motivations sur le véritable contenu du blog que je souhaitais comme une performance artistique.

C’est, en effet dans cette « dérive » que les mots « navigation » « rafiot » « Capitaine » ont pu apparaître ; le blog de Gertrude était définitivement un rafiot (avec toutes les concessions de rafistolage que cela sous-entend) à la dérive d’une navigation à vue, en proie aux rencontres hasardeuses plus ou moins heureuses ; et j’en était le Capitaine ivre et désorienté ; je renonçais, là, à toutes sortes de principes ou d’a priori éthiques que j’avais pu me fixer avant l’ouverture du blog.

Je me raccrochai à la devise « Rien n'était prévu, rien ne sera laissé au hasard. ». Je décidai que tout ce qui « tomberait » dans le blog en ferait la matière… et mon miel.

Évidemment le système ne pouvait et ne peut toujours fonctionner que sur une forme d’échange : je publie un « article » et j’attends les réactions de mes interlocuteurs. Au mieux, ces réactions peuvent susciter de nouvelles idées de ma part et ainsi mettre en marche une véritable interactivité, phénomène qui a tendance actuellement à se raréfier probablement à cause de ma perte d’intérêt (momentanée ou définitive) à l’égard des « conversations » virtuelles.

L’élaboration de l’article est toujours le fruit d’une grande motivation, d’un désir impatient, mais il est aussi le support d’une attente très forte vis-à-vis de l’Autre, une sorte de fantasme de reconnaissance de sa part, presque d’une preuve d’amour.

Et c’est là, peut-être, que s’installe le paradoxe : celui de continuer à produire dans ce dispositif, d’être toujours mue par cette impatience et de me heurter toujours à la même frustration de cette attente impossible qui me tenaille à chaque parution : celle que produit le décalage inévitable entre ma pratique et sa réception par mon « public ». Décalage que je sais et que j’entretiens pourtant sciemment mais que je redoute.

Et plus j’avance, plus je constate chez moi cette insatisfaction (probablement liée au désintérêt décrit plus haut, dans un sens ascendant ou descendant que je n’ai pas encore défini), cette course aporétique qui ne cesse de m’agiter ; et à présent, c’est cette insatisfaction qui devient l’objet de mon attention. De désagrément, elle devient source d’intérêt. edurtreG en est probablement une des conséquences.

Ainsi le blog m’apparaît comme une bonne démonstration, voire comme une parodie, du processus artistique en mettant en exergue l’irréductible impuissance qui l’habite.

Mais j’aurai l’occasion d’y revenir.

De l'instant




Une des principales difficultés rencontrée dans ce nouveau blog est l’idée qu’il me faut le concevoir sans aucun carcan logique, sans règle si ce n’est celle de m’exprimer correctement.

Ce sera pour moi la seule façon de traduire l’état d’incertitude et de fouillis dans lequel se trouve ma pensée au sujet de Gertrude.

Je sais ainsi que mon propos ne sera ni linéaire, ni régulier, qu’il sera parfois redondant, contradictoire voire incohérent, mais qu’il sera toujours le résultat d’une forme de vérité de l’instant ; car c’est toujours l’instant qui compte dans une pratique, même si cet instant est engendré par un temps précédent et qu’il aura des conséquences à venir.

Ce que j’ai réalisé il y a quatre ans et demi déjà ne m’appartient plus mais, malgré tout, constitue le fond ou le pied de cette construction qui, bien que virtuelle, ne s’en appuie pas moins, à travers l’accumulation de ces tranches de temps, sur ma réalité.

Il faudra que le visiteur se retrouve (ou pas) dans ces méandres, ces bribes lâchées peu à peu sur ma pratique.

Logique du temps



Commencer à écrire sur ma pratique en résume toute la difficulté ; en effet commencer par quoi ?
Je m’aperçois, en lisant mes premières lignes que j’ai déjà écrit trois articles sans parler une seule fois du véritable objet de ce blog, à savoir Gertrude. À l’évidence j’ai autant de difficulté à en parler que j’ai de facilité à produire des mises en scènes à son propos.

Le « commencer par quoi ? » me replace face à la nécessité de trouver un fil, de tirer un premier fil de ma pelote, encore faut-il que cela soit le bon, celui qui entrainera, enchainera la cohérence de mon propos ; mais il me semble que je dois me défendre de ce penchant si je veux garder un minimum de sincérité.

Et naturellement je ne peux commencer que par ce problème de la logique : la logique de Gertrude, plutôt celle que je lui ai fabriqué dans l’espace virtuel.
Car, a priori, il n’y a pas vraiment de logique ni d’évidence à se retrouver face à un crâne ; la seule réalité du crâne est la tangibilité de sa matière, rien d’autre ; le reste n’est que fantasme, car sa réalité de reste humain ne rencontre pas la notre, et son état nous est inenvisageable, au sens propre comme au sens figuré, si j’ose le dire ainsi.

Mais j’aurai l’occasion de revenir sur ce problème de réalité ; ce qui m’intéresse ici c’est la construction que j’ai pu fabriquer autour de Gertrude pour que toute cette affaire tienne debout, pour que « Gertrude » accède à une forme de réalité, presque de réalisme.
Gertrude, ou plutôt l’ensemble des espaces virtuels la concernant, répond entre autre à une logique implacable, un cadre indéfectible, celui du temps ; pas un temps subjectif, mais le temps objectif, celui de la pendule ou du calendrier.
Car une des « réalités » qui s’impose dans le face-à-face auquel je m’adonne depuis quatre ans et demi, c’est le décalage entre son temps arrêté et le mien qui continue à filer.
Dans le(s) blog(s) de Gertrude, la scansion du temps s’est installée tout naturellement, presque inconsciemment ; d’abord dans le rythme du blog lui-même, « journal » virtuel qui demande son dû et se rappelle à nous dès que nous le négligeons tant soit peu ; le blog de Gertrude est une sorte d’organisme qu’il faut nourrir, et il n’a pas fallu longtemps avant qu’il ne joue le parallélisme avec mon propre organisme, mon propre cycle vital. D’élément immobile et mort, Gertrude, par le truchement du blog, et ses exigences de « journal » a acquis une forme de faculté, celle d’avancer, d’évoluer, de penser, de parler ; cela devient un élément agissant, ou plutôt un élément qui me permet d’agir.
Des glissements voire des dérapages de cette confrontation, j’aurai l’occasion d’en parler plus en détail ; comme je développerai également les fonctions de cette temporalité.
Mais le temps n’est pas la seule logique des blogs de Gertrude.

Miroir de Gertrude


edurtreG est en quelque sorte le miroir de Gertrude, un espace où elle est censée se regarder sans complaisance, mais également ce lieu où l’image reflétée oscille entre déformation volontaire, de la grimace à la tentative d’embellissement, et vérité. L’image est virtuelle, d’autant plus virtuelle que l’objet qu’elle redouble n’a de raison que l’espace virtuel d’Internet ; elle est en même temps reflet des activités gertrudiennes par l’explication, l’analyse, la prise de distance vis-à-vis de ces dernières, mais aussi le contraire de ce qui est montré dans le blog de Gertrude qui fonctionne sur des choix implicites (pas toujours perçus par mes interlocuteurs) ; en effet  edurtreG ne sera que du texte et penchera forcément plutôt du côté de l’explicite.

edurtreG

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edurtreG est une tentative de recul critique par rapport au travail que j’ai entrepris depuis quatre ans et demi autour d’un crâne humain nommé Gertrude.
Vous pouvez prendre connaissance de ce travail ici.

Je ne prétends pas, dans cette expérimentation, conserver toujours une grande objectivité à l’égard de mes activités mais seulement ouvrir un espace de réflexion dans lequel il me sera possible non seulement d’analyser ma démarche, mais aussi de livrer mon ressenti dans cette aventure. 

Il me paraît important également d’inviter les visiteurs à faire part de leurs points de vue, les plaçant là, non comme « interlocuteurs » de Gertrude faisant partie intégrante du jeu, mais en tant que « spectateurs » de mon travail plastique et de sa construction. Libre à eux, bien sûr, d’endosser les deux rôles.

edurtreG, contrairement à Gertrude, sera un blog sans aucune logique particulière à part celle dictée par le désir que j’éprouverai à m’exprimer sur la question.
L’ouverture de ce sixième blog, projet certes déraisonnable, intervient arbitrairement dans l’histoire d’une aventure qui a beaucoup évolué au point d’être à présent très éloignée du projet initial et au risque que je m’y égare ; et c’est probablement ce sentiment, contraire aux apparences, de désorientation et de non-maitrise de l’expérience qui m’a décidé à envisager ce nouvel espace .

À ce stade, éprouverais-je donc le besoin d’expliciter ou de justifier ma démarche à mes yeux autant qu’aux yeux des autres ? Ou sans vraiment me l’avouer, suis-je en train de lancer un nouveau tentacule à la pieuvre Gertrude dans l’impuissance de contrôler les autres ?
Je ne le sais, seule l’évolution de ce nouveau blog me le dira.